2019 . François Quévillon. CONDUITE ALGORITHMIQUE, en tournée (4/4). MA Musée d'art, Rouyn-Noranda


FRANÇOIS QUÉVILLON Conduite algorithmique
Du 11 octobre au 8 décembre 2019
Commissaire : Eric Mattson
Quatre œuvres récentes de l’artiste François Quévillon : Manœuvres, Le Rétroviseur, La Voiture sans conducteur dans l’au-delà, ainsi que Conduite algorithmique composent cette exposition. Conduite algorithmique donne son titre à ce corpus qui synthétise les recherches de François Quévillon sur l’automatisation des transports, développée grâce à des systèmes informatiques qui analysent les données provenant de caméras et de multitudes de capteurs installés sur les véhicules. Afin de nous introduire à ces concepts sous un jour artistique, l’artiste s’accapare des procédures algorithmiques utilisées en robotique et sur Internet inscrivant ainsi son œuvre dans un système de relations qui dépasse largement le simple monde de l’art. Faisant échos aux véhicules autonomes et à diverses techniques de surveillance qui impliquent la collecte et l'analyse de données, cette exposition démontre une recherche approfondie, un regard précis, serein et amusé sur les développements technologiques qui imposent leurs emprises sur notre époque. 

Dans les espaces conviviaux du Musée, avant d’entrer dans l’espace Projet, deux œuvres intriguent le visiteur. L’impression La Voiture sans conducteur dans l’au-delà (2017) présente un véhicule renversé dans un champ et son image inversée. En dessous, une charte de couleurs favorise la lecture des catégories d’éléments, ciel, route, végétation, véhicule, etc. Véritable synthèse déstabilisante de l’ensemble du travail présenté ici, cette œuvre expose l’analyse des images par un réseau de neurones artificiels incapable de percevoir le jeu des erreurs qui lui est soumis, alors que selon leurs positions, à l’endroit et à l’envers, les mêmes objets sont classifiés différemment. Le Rétroviseur (MA) est un clin d’œil humoristique aux images opératoires des systèmes actuels d’assistance à la conduite et au stationnement. Les fonctions premières de ce dispositif sont détournées afin que la personne qui observe ce qui se déroule dans l’espace principal de l’exposition à travers le moniteur intégré au rétroviseur soit elle-même surveillée par des capteurs à ultrasons tout en se voyant dans le miroir.

Dans la salle projet, deux œuvres conversent. Chacune résulte de diverses saisies par une caméra embarquée sur le véhicule de l’artiste, ensuite analysées et transcodées grâce à différents systèmes informatiques d’analyses des données inscrites à même les séquences d’images.
Manœuvres, (2017-2018) est une série de vidéos qui s’inspirent des technologies utilisées par les véhicules autonomes et des compilations d’enregistreurs de conduite populaires sur le Web. Ces derniers sont les témoins oculaires d’incidents, ils présentent la route comme un environnement où surgit l’inattendu, cette compilation questionne les interprétations informatiques de ces situations.
Conduite algorithmique, (2018) évoque les recherches récentes de l’industrie automobile sur les véhicules autonomes. En permettant au visiteur de l’exposition l’exploration d’une banque de vidéos, par l’intermédiaire d’une table de mixage augmentée de nombreux potentiomètres liées à la quantification numérique de l’environnement et de l’activité du véhicule, l’artiste l’invite à orienter l’agencement séquentiel des vidéos tout en révélant le fonctionnement, parfois déficient, des systèmes en action. Comme un leitmotiv qui revient dans chacune des œuvres de François Quévillon, les erreurs et hiatus des modes opératoires sont exposés sans réserve, exposant les similitudes et les différences entre la perception humaine et celle des machines. 


L’ensemble de la production artistique de François Quévillon est traversée par deux champs d’exploration principaux : l’analyse des représentations contemporaines dialogue avec la critique de phénomènes mettant en scène la relation tendue entre l’activité humaine et la Terre. Ses dispositifs audiovisuels témoignent d’un regard sur la matérialité de notre existence et sur les événements qui l’altèrent.Leurs analyses et leur traitement profitent d’une nouvelle réalité, celle du double numérique de notre monde sous surveillance, un univers de données servant principalement à l’accélération de l’exploitation des ressources et à l’augmentation exponentielle du contrôle des transferts d’informations.
En confrontant des techniques utilisées en intelligence artificielle à la nature imprévisible du monde, François Quévillon sonde les réactions de ces systèmes lorsqu’ils interprètent des situations inattendues et des phénomènes incalculables. L’attrait marqué de l’artiste pour les technologies de pointe - analyse de données massives, vision par ordinateur, automatisation, etc. - se voile d’un doute, d’une distance de réserve face aux bienfaits vantés par les industries qui les développent et nous les imposent.
Eric Mattson et François Quévillon, 2019

François Quévillon
Son site

La pratique artistique interdisciplinaire de François Quévillon allie l’installation, le son, les images et les technologies. Ses dispositifs audiovisuels, procéduraux et interactifs explorent les phénomènes du monde et de la perception par la mise en œuvre de processus sensibles aux conditions variables de l’environnement et à l’interférence humaine. Détenteur d’une maitrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, François Quévillon travaille régulièrement dans le cadre de résidences et au sein de groupes de recherche. Il est actif depuis une vingtaine d’années et a présenté ses réalisations lors de nombreuses expositions et événements internationaux dédiés à l’artcontemporain, au cinéma et au numérique.

Eric Mattson Commissaire en arts, musiques et sons. Montréal (QC)
Ce Blog

Commissaire en arts, musiques et sons, il accompagne de nombreux artistes des arts numériques et sonores dans l’évolution de leurs démarches en concevant et en produisant des événements et des expositions tant au Québec, au Canada qu'à l'étranger. Ses plus récentes réalisations sont en 2019 : Sons nomades / Nomadic Sounds, six artistes internationaux, CTM, Berlin avec la commissaire Nicole Gingras ; Territoires, Explorations, cinq artistes, cinq lieux au Québec - en 2018, nommons : À un moment donné, dans un lieu précis, Béchard Hudon, au MA, Musée d’art, Rouyn Noranda ; La marche est haute – Territoires, cinq artistes, Québec, Rimouski, Rouyn-Noranda, Sherbrooke ; La Conduite algorithmique ; sur la route, quatre expositions et événements avec l’artiste François Quévillon en 2018 et 2019 (Daïmon, Gatineau ; Avatar, Québec ; Expression, Saint-Hyacinthe ; MA, Musée d’art, Rouyn-Noranda). Les productions de Eric Mattson sont majoritairement supportées par Le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des Arts du Canada.

2019 . François Quévillon. CONDUITE ALGORITHMIQUE, en tournée (3/4). Expression, Saint-Hyacinthe

Manoeuvrer l’incontrôlable, François Quévillon
Expression, Centre d'exposition de Saint-Hyacinthe. 
Du 9 février au 21 avril 2019



Site de L'artiste
Un rare (!!!!) et bon article sur l'exposition de François Quévillon à Expression : dans ESSE


François Quévillon, Manœuvrer l’incontrôlable
Expression, Saint-Hyacinthe, du 9 février au 21 avril 2019

Avec la rétrospective que consacre le centre d’exposition Expression de Saint-Hyacinthe à son travail de la dernière décennie, l’artiste François Quévillon décline des avancées technologiques récentes de captation, de surveillance et de détection. Majeure et magnifique, cette exposition constituée de huit dispositifs audiovisuels interroge en quelque sorte l’histoire technologique récente qui met en jeu l’avenir de la planète et de l’humanité.
Pour ce faire, l’artiste conjugue interactivité et procédures systématiques, art et technologie, poésie et critique. Il s’intéresse aux données de géolocalisation, de conduite automobile, de détection de mouvements géologiques et de captation de déplacements, dont il aime scénariser les images et les sons selon des paramètres algorithmiques. Diverses fluctuations proviennent des activités mesurées : vent, température, consommation d’énergie, position des spectateurs, etc. Si ces images et ces sons atteignent souvent le sublime, là où la beauté dépasse l’entendement, ils suscitent également une critique sociopolitique des avancées technologiques qui, malgré leurs promesses spectaculaires, ne sont pas infaillibles. Quévillon et le commissaire de son exposition, Eric Mattson, résument les principaux enjeux par ces trois formules lapidaires : « Les espaces entre les lieux s’amenuisent ; la vitesse perturbe les jugements ; l’anticipation des suivis efface le futur. »
Dans le plus petit espace de l’exposition, Quévillon, souvent représenté par une photo de lui tirant un cerf-volant muni d’une caméra, propose une œuvre participative intitulée Variations pour cordes et vents (2014-2016). Le public est invité à croiser les sons enregistrés par le déplacement du cerf-volant, sons retransmis par six casques d’écoute suspendus, avec les images diffusées par six écrans répartis sur le mur et le sol. Ce dernier espace clôture un parcours qui n’est pas sans solliciter nos sens et nos neurones.
Déjà dans le corridor d’entrée, l’œuvre intitulée La voiture sans conducteur dans l’au-delà (2017), quadruple impression numérique, donne le ton. La première impression présente un véhicule accidenté dans un champ, roues vers le ciel, et la seconde, son image inversée, ciel sous terre. Sous chacune d’elles apparait l’analyse couleur des catégories d’objets identifiés par un réseau de neurones artificiels, codifiée selon une charte associant couleurs et figures.
Quand nous détournons le regard vers la salle, une projection de l’œuvre Dérive (2010-2015) attire notre attention. Alimentée par un dispositif interactif connecté au Web, elle diffuse des restitutions 3D d’espaces transformés au gré des phénomènes météorologiques et astronomiques dans des endroits éloignés sur la Terre. La vision est saisissante en raison de l’agrandissement exercé par l’écran géant sur la largeur, de la granularité fluctuante du traitement, du clair-obscur aussi stylisé que contrasté et de l’aplatissement graduel des images 3D de l’espace vu de loin.
Après quelques pas, c’est au tour de Manœuvres (2017-2018), série de six vidéos, de monopoliser notre regard. L’artiste a même prévu un banc de véhicule pour que les visiteurs puissent s’assoir et mettre les écouteurs pour contempler les vidéos, captées par la caméra du véhicule et analysées par différents systèmes de vision par ordinateur. Un trouble de la vision en résulte : impossible de déterminer si celle-ci est la nôtre, celle du véhicule ou celle de la superposition d’éléments virtuels qui traquent d’autres éléments, aux prises avec des fluctuations météorologiques, des insectes et des couleurs.
Sur le dossier des appuie-têtes, Quévillon a logé une installation vidéo, Cartographie de l’incertitude machine, qui propose l’analyse, par un réseau de neurones profonds, de scènes captées à Saint-Hyacinthe. Telle une mise en abyme, le lieu de l’exposition participe même à la manœuvre de ses empreintes environnementales.
À partir du véhicule accidenté à l’entrée, nous avons rencontré des lieux transformés en temps réel par les données météorologiques et atmosphériques, puis diverses scènes de déplacements automobiles et leur analyse neuronale jusqu’à un dispositif interactif qui simule une conduite algorithmique. Sous l’effet d’illusions multiples, avec Conduite algorithmique, nous opérons les boutons d’une console où l’on croise et module de nombreuses vidéos captées par une caméra connectée à l’ordinateur de bord d’une automobile. Cette expérience se transforme en leçon magistrale sur l’impossibilité de tout contrôler par les dispositifs numériques. Nous sommes dans le cerveau des opérations, qui s’avère incapable de contrôler l’incontrôlable.
En nous dirigeant vers le fond de la salle, nous sommes interpelés par un sixième dispositif : Le rétroviseur (Expression), muni d’un moniteur, d’une caméra de recul et de capteurs à ultrasons qui surveillent l’activité dans la salle. Si le rétroviseur nous permet de reculer en localisant les obstacles, en le dépassant, nous nous transposons sur un continent où les forces géologiques sont sous haute surveillance. Nous apercevons alors la vidéographie majestueuse d’En attendant Bárðarbunga (2014-2015), dispositif procédural que l’artiste a réalisé à partir de sa surveillance d’indices dans les environs du volcan du même nom, en Islande, dans les jours où celui-ci menaçait d’entrer en éruption.
Imbriqués dans le circuit de l’exposition avec des changements d’échelle spatiotemporelle micro et macro et des fluctuations de vitesse, ces dispositifs ingénieux faisant appel au calcul et à la programmation nous introduisent dans l’ère de l’intelligence artificielle. Demain, l’humain ne conduira peut-être plus son véhicule, les obstacles seront détectés par des systèmes de perception artificielle. Déjà, le Web permet de se connecter en temps réel à un nombre incalculable de capteurs qui surveillent des phénomènes climatiques et géologiques un peu partout sur la planète. Ces avancées technologiques qui nous font miroiter monts et merveilles créent par le fait même des risques insoupçonnés associés à des effets pervers qu’on peine à anticiper. La transparence numérique n’y échappe pas. L’imprévisibilité dame le pion au contrôle.
Avec la maitrise parfaite des dispositifs par lesquels il nous initie, à coups d’images sublimes et de sons percutants, à des expériences insoupçonnées, Quévillon nous invite à réfléchir sur les risques d’un avenir associés à son anticipation.