2018 . LA MARCHE EST HAUTE ; TERRITOIRES #1.2 - Philippe-Aubert Gauthier

La Marche est haute ; Territoires.
#1.2 Ce qui n'était pas au centre de notre attention,Philippe-Aubert Gauthier, Tanya Saint-Pierre
16 Juillet 2018. Une marche sonore avec utilisation de casques actifs.

Commissaire : Eric Mattson
Production : Conseil des arts et des lettres du Québec, SPOROBOLE (Sherbrooke)

La marche est haute, retour sur " Ce qui n'était pas au centre de notre attention … "


Depuis un moment déjà, le souhait et l'idée d'explorer les dispositifs portables de réduction active de bruit m'habitaient. Idée floue, curiosité, intuition sur comment ces écouteurs anti-bruit pourraient être modulateurs d'une écoute située, en contexte. Puisque pareils systèmes, assurément de plus en plus omniprésents, agissent sur notre culture de l'écoute en environnement sonore urbain. Et vice versa : comment agir sur eux par des moyens d'émission sonore.


Idée en attente depuis des années, faute de précision structurante. Appels et discussions pour " La marche est haute " de Eric Mattson : déclencheur certain pour préciser l'idée. C'est bien la marche, la déambulation en ville, qui pourrait simplement être la clef de cette intuition? L'occasion se trouve idéale pour tester l'idée dans un contexte de marche privée. Pour découvrir si pareille curiosité peut trouver sens artistique, il faut la mettre en marche pour en vérifier l'intérêts et les significations.



Le plan se précise aussitôt : petits dispositifs bruitistes portables de faible puissance; chorale muette de huit casques actifs (antibruit) pour huit participants; à proximité de la plus forte source de bruit acoustique du centre-ville de Sherbrooke, soient les chutes de la gorge de la rivière Magog. Source de bruit intéressante puisque puissante, large et étendue, diffuse en termes spatiaux (de par son étendu et son caractère aléatoire) parfaitement centrale pour Sherbrooke, cachée dans les replis du relief de la ville (on ne la découvre visuellement qu'en s'enfonçant dans les gorges), et aussi méconnue des non-locaux. Et, qualité encore plus importante ici, elle est une source de bruit blanc stationnaire : soit un bruit qui contient pratiquement, et idéalement de façon égale, toutes les fréquences et bruits qui ne changent pas dans le temps en termes de qualité générale (niveau, timbre, position spatiale, etc.). Ces qualités sonores s'avèrent théoriquement idéale pour confronter un dispositif comme les casques actifs. On imagine donc une sorte de laboratoire acoustique en extérieur. Telle sera la première visée. Sur un plan plus conceptuel, la motivation tient aussi dans le fait d'utiliser cette puissante source de bruit pour révéler l'existence et l'influence de ces écouteurs actifs sur nos écoutes. D'où le titre, " Ce qui n'était pas au centre de notre attention … ". Dans cette lignée de l'attention, nous savons aussi que pareils casques ne réagissent pas de la même façon selon la nature du bruit : contenu en fréquence, transitoire, etc. En conséquence, au pied de cette monumentale source de bruit alors atténuée par les casques, nous installerons de petits bruits, des petits bruits transitoires, de hautes fréquences, de faible puissance. Soit à l'opposé du spectre de la qualité sonore de la chute massive et imposante. Et c'est là le jeu, comment les casques réagiront? Comment l'auditeur-marcheur écoutera … en principe, les petits bruits seront potentiellement plus masqués par la chute lors de l'écoute naturelle (non-augmentée, ou non-diminuée, par les casques). Avec les casques actifs, possible que ces petits bruits, ces éclaboussures de couleurs transitoires et aiguës se découpent plus fortement du fond blanc de la chute. Mais, tout ça reste à voir et à entendre, beaucoup d'hypothèses, beaucoup d'inconnus.  " La marche est haute " devient le banc d'essai.


Notre marche muette et bruyante se précise et se décrira alors ainsi :


" Calm computing ", " Ubicomp ", " Ubiquitous media ", quelques termes en émergences, mais qui, pour certains, datent déjà de quelques décennies et façonnent nos environnements et territoires actuels. Omniprésence des calculs et des médias numériques dans les espaces publics ou privés - la distinction serait éventuellement caduque? -, calculs de fond et d'arrière-plan, technologies périphériques et discrètes, technologies numériques portables et réalités augmentées : toutes se manifestent dans nos poches, nos sacs à dos, et autres rangements, par l'entremise des appareils mobiles et de leurs prolongements et transducteurs.


Petits dispositifs électroniques, système sonore non-intrusif et casques anti-bruit altérant une écoute située. Tous seront utilisés pour altérer les modes d'écoute des auditeurs et passants en interaction avec l'environnement sonore des sentiers de la Gorge de la rivière Magog. L'essentiel de la proposition sonore, située et parcimonieuse, touchera le point de contact sonore entre le calme, voire la périphérie, des technologies distribuées et l'environnement sonore local.


Premiers essais et réflexions


La première séance a lieu, le 14 septembre. Environs 8 personnes sont accueillies sur la rue. Introduction sommaire et collégiale, les casques sont donnés aux marcheurs. La marche débute, nous approchons de la gorge, nous marchons sur le barrage, tout juste au-dessus de la chute. Nous écoutons. Tous portent leurs casques.  Au loin, sur une plateforme, Tanya génère des bruits et sonorités avec de petits appareils mobiles, téléphone, circuits analogiques à batterie. Tous disposés sur une table. Elle scanne notamment en temps réel des partitions et des cartes des gorges pour générer transitoires, pops, et autres fréquences variantes. De loin, nous l'entendons très peu, ou pas. Le groupe s'approche de la plateforme, sorte de fondu sonore marché. Le bruit des dispositifs portables, peu forts, présentés sur un système de son mobile, se font progressivement entendre. Je rejoins Tanya. Nous portons aussi des casques anti-bruit, la marche devient improvisation et duo. Nos co-marcheurs s'installent autours de nous sur la plateforme. Est-ce une marche? Une écoute? Une performance? Tout s'arrête et nous discutons de l'expérience. Expérience mitigée, était-ce une œuvre ou deux œuvres? Avons-nous pu distinguer les subtilités de nos intentions. Ce qui est maintenant apparent n'est assurément pas ce que nous avions prévu. Ce qui nous pousse à concevoir une variante.




Une deuxième variante


Reprise de l'expérience, quelques nouveaux participants, quelques participants de la première réalisation. Cette fois, moins d'équipement, tout est portable, y compris nos sources sonores et haut-parleurs. Nous marchons aux environs de la chute, plus longtemps cette fois. Plus d'écoute diminuée de l'environnement. À quelques points précis de la marche, pour quelques marques géographiques, nous nous arrêtons et émettons quelques ponctuations sonores, une à la fois, tour à tour, brèves, à partir d'un téléphone ou d'un synthétiseur modulaire portable. Cette fois, les ajouts bruitistes agissent comme des marqueurs, des ponctuations. L'impression est celle que l'écoute était plus attentive, plus couplée à l'environnement sonore, à la chute d'eau. Mais est-ce une condition d'écoute intéressante, oui, mais suffisamment? De nouvelles questions se chamaillent avec nos idées précédentes.  


Post-marche


Cette marche nous amène à imaginer de nouveaux parcours de réalisation pour cette œuvre incertaine. Une prochaine phase impliquera possiblement la modification électronique des casques actifs, sorte de hacking esthétique de cette mobilité augmentée ou diminuée de l'écoute.


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